Maladies

L’otite : une affection microbienne

Le 16 octobre 2018 - 9 minutes de lecture

L’otite moyenne aiguë purulente est définie par la présence d’un épanchement (extériorisé ou non) dans l’oreille moyenne, associé à des signes ou symptômes locaux ou généraux d’infection aiguë. Cette otite moyenne aiguë est la plus fréquente affection microbienne de l’enfant et la première indication d’antibiotiques dans les pays occidentaux. Elle accompagne parfois le début d’une rhinopharyngite aiguë ,ou parfois lui succède en cours d’évolution. C’est en effet dans l’arrière nez que se développent d’abord ces microbes qui rejoignent ensuite l’oreille moyenne (la caisse du tympan) en suivant le trajet de la trompe d’Eustache.

Avant l’arrivée des antibiotiques, l’otite donnait chaque année, même dans les pays les plus nantis , un bon nombre de complications : mastoïdites, méningites, septicémies, qui parfois tournaient mal. Les antibiotiques ont permis de simplifier la question pendant des années de façon extraordinaire avec maîtrise très claire du processus et par exemple une quasi disparition des mastoïdites aiguës à problème .

Mais, depuis une quinzaine d’années, un trouble est né chez les prescripteurs devant la constatation que les bactéries commencent à tourner la difficulté, à esquiver l’obstacle de l’antibiotique. et à transmettre leur truc à toutes leurs descendantes. Tous les membres d’une même famille de microbes ne sont pas résistants dans une zone géographique donnée, et il faut désormais raisonner ainsi lors d’une prescription antibiotique : dans telle maladie , quels microbes sont susceptibles d’être en cause ? (et desquels surtout faut il se protéger dans cette situation précise ?) et, dans la région précise où nous vivons, comment se présente en ce moment chacune des familles de ces microbes ? Quel pourcentage de membres de la famille a déjà dérivé vers la rébellion ? et avec quelle intensité de résistance ?

Comment se révèle l’otite aiguë ?

Chez le nourrisson , par des aspects variables :

  • Fièvre avec troubles digestifs variés
  • Agitation, pleurs, refus d’alimentation
  • Ecoulement purulent de l’oreille
  • Au total, une véritable maladie générale pouvant donner un tableau d’infection grave

Chez l’enfant plus grand :

  • Douleur d’oreille, parfois battante, insomnies
  • Gêne auditive
  • Fièvre variable

Et le plus souvent l’élément significatif est la réaccentuation de la fièvre au cours de l’évolution d’une rhinopharyngite aiguë.
Les signes révélateurs sont parfois plus subtils, en effet : la fièvre n’est par exemple présente que dans 60% des cas (et elle est habituellement modérée). Les douleurs d’oreille (ou ce qui peut l’évoquer chez le nourrisson) ne sont rencontrées que dans 50% des cas et dans 10% des cas, l’otite est totalement muette et est découverte par un examen systématique alors que rien ne suggérait son existence

L’examen

Est pratiqué avec douceur chez un enfant que l’on aura calmé, rassuré et bien immobilisé dans les bras de ses parents.
Le médecin identifie l’existence de l’otite moyenne, peut reconnaître son intensité selon l’aspect du tympan, plus ou moins épaissi, plus ou moins bombé, avec déjà parfois perforation et écoulement spontané.
Il peut vérifier que ce n’est pas une otite externe (simple inflammation du conduit auditif externe entretenue par les bains de l’enfant) ni une otite séreuse (liquide clair sous le tympan, représentant parfois un stade de convalescence d’une otite moyenne aiguë ancienne)

Quels microbes devons nous viser ?

Je fais les présentations :
– Voici Hemophilus influenzae en cause dans 45% des otites dans notre pays
– Puis Streptocccus Pneumoniae (le pneumocoque) en cause dans 30% des cas
– Puis , moins agressif, Moraxella Catarrhalis (10% des cas)
– Enfin Staphylococcus Aureus , le staphylocoque doré, (4%), plutôt chez le nourrisson [
– Les autres bactéries , si elles ne sont pas négligeables sont plus rarement en cause. L’effort est donc fait sur les 3 premiers (le 4e est visé d’emblée de principe chez le nourrisson).

Et, en fait, on met surtout dans le collimateur les 2 premiers, Hemophilus et Pneumocoque , puisqu’il se trouve que quand on vise Hemophilus , on tue aussi Moraxella ( sensible aux mêmes familles d’antibiotiques).
Le schéma se complique quand on sait qu’en plus il existe de fréquentes otites VIRALES , et que virus et microbes se retrouvent souvent associés avec des incidences délicates à manier. Par exemple , voici une otite. Je lui oppose un antibiotique parfaitement adapté à la bactérie en cause. Et pourtant le résultat apparent est un échec , dû à la persistance d’une importante réaction inflammatoire dans l’oreille dont le virus est responsable. On devine donc que derrière le mot d’otite , il y a tout un monde complexe.

Voyons donc nos 2 germes ennemis :

Dans la famille Hemophilus , les plus sévères sont constitués par le groupe B (10% de la famille). Anciennement responsable de troubles sévères (dangereuses inflammations de l’épiglotte, méningites) , ce type B disparaît en ce moment de la circulation depuis quelques années grâce à une vaccination arrivée sur le marché particulièrement à point.
Il reste quand même à se défendre contre les autres 90% de la famille, à la tendance souvent rebelle : il faudra prévoir des antibiotiques en anticipant (comme aux échecs) sur leur résistance possible.
Dans la famille Pneumocoque, il y a des types génétiques multiples et une tendance de certains à donner des tableaux très fébriles, des risques de méningites ou d’autres infections sévères. La résistance progressive des pneumocoques à la quasi totalité des antibiotiques gagne peu à peu. Et la diminution progressive de la sensibilité aux pénicillines est un des soucis du moment à l’échelle planétaire.
D’autres antibiotiques arrivent ,en cours d’évaluation mais les stratégies de traitement sont au point dans les pays les plus touchés par le problème avec deux grands axes :
** d’abord , la restriction de la prescription antibiotique dans les affections virales à risque mineur, comme les rhinopharyngites aiguës.
** ensuite , l’établissement de consensus professionnels médicaux adaptés à chaque pays et fournissant un protocole de traitement efficace et simple à appliquer. Ces recommandations ont été mises au point par le travail coordonné des leaders en infectiologie, bactériologie, pédiatrie et ORL.

Le consensus français

1) L’ennemi public numéro 1 dans l’otite , c’est le pneumocoque. Le rebelle.
On a d’abord identifié les critères qui permettaient de suspecter qu’une otite pouvait être due à un PSDP (pneumocoque à sensibilité diminuée à la pénicilline).
Le pneumocoque est plus particulièrement en cause :
– chez un enfant de moins de 2 ans
– avec fièvre supérieure à 38°5
– et importante douleur d’oreille
Si l’enfant présente cet aspect, il peut être suspecté d’avoir une otite à pneumocoque rebelle (PSDP):
* en cas de fréquentation de collectivité (crèche)
* en cas d’antécédents dans les mois précédents : otite moyenne aiguë, ou traitement par pénicilline.
2) l’association d’otite moyenne aiguë et de conjonctivite est due dans 75% des cas à un hemophilus.
3) le traitement de l’otite vient d’être clarifié par une série de nouvelles recommandations professionnelles :
*** chez l’enfant de moins de 2 ans, l’antibiothérapie d’emblée est recommandée (choix probabiliste du médicament déterminé en fonction du contexte clinique)
***chez l’enfant de plus de 2 ans, peu symptomatique, l’abstention en première intention d’antibiotique est licite; en revanche, si la symptomatologie est bruyante, une antibiothérapie doit être prescrite.
Durée recommandée du traitement antibiotique: 8 à 10 jours chez l’enfant de moins de 2 ans, 5 jours après cet âge.


*** et surveillance attentive:
Le choix de l’abstention doit s’accompagner d’une réévaluation de l’état de l’enfant à 48-72 heures après traitement symptomatique .
L’échec du traitement initial peut être suspecté si dans les 3 premiers jours, on observe la persistance, la réapparition ou l’aggravation des symptômes. Ou encore l’apparition d’un écoulement d’oreille.
A ce moment, il sera nécessaire d’identifier le microbe en cause par un examen bactériologique. Si l’oreille coule déjà , prélèvement dans le conduit. Sinon, paracentèse (incision du tympan au cours d’une brève anesthésie générale) et ensuite, selon les résultats de l’examen , prescription d’un antibiotique ajusté de façon précise.
LA PARACENTÈSE : on y recourt beaucoup moins depuis une vingtaine d’années grâce à l’efficacité des antibiotiques.
Elle reste proposable d’emblée dans certains cas de forte fièvre, ou de douleurs importantes . Son intérêt n’est donc plus seulement de soulager rapidement mais désormais également de fournir l’ identification de la bactérie en cause.
La découverte de tout ce qu’il y a donc derrière « une simple otite » permet donc de prendre la mesure de l’importance des enjeux chez les enfants qui ont des otites et des rhinopharyngites à répétition.
Des enjeux à la fois individuels et collectifs.

Références:
10e Conférence de Consensus en Thérapeutique Anti Infectieuse. 1996.
Et les compte rendus des 3e et 4e Journées Nationales de l’Otite,(1995 et 1996)
Nouvelles recommandations de l’Agence Française de Sécurité des Produits Sanitaires (publiées dans le N° de Novembre 2001 de Médecine et Maladies Infectieuses).
Revu et actualisé mars 2009